La nature, paysages inviolés de toute intervention physique. Qui s’intéressait encore à fouler ces terres pures alors qu’un monde de technologies prospérait tout autour d’elles ? La réponse était bien simple : les élèves de Nolan. Mais pas seulement eux. Une silhouette tout de blanc vêtue progressait précautionneusement dans cette forêt qui aurait été inhospitalière à n’importe quel citadin. Cette personne fut également éduquée par maître Nolan, le plus sage et le plus renommé des combattants de l’Ancien Temps. Les journées étaient bien souvent éreintantes et passaient avec une longueur exaspérante. Nolan refusait d’accorder du repos à ses élèves tant qu’il n’était pas satisfait de leurs progrès. Autant avouer que certains bambins restaient plus d’un jour sans fermer l’œil, ce qui était en soi un traitement impitoyable et immoral. Le jeune homme qui arpentait ces bois avait fait partie de ces malheureux. Connaissant ses ambitions, maître Nolan ne s’était pas montré miséricordieux avec lui, bien au contraire. Il l’avait fait suer sang et eau jusqu’à ce qu’il crie grâce. « Tu veux devenir le garde du corps du Haut Sénateur ? Alors reprends ton épée et affronte-moi ! » Les paroles du vieil homme résonnaient encore dans les oreilles de l’ange. Alors il ramassait son arme blanche et, les joues mouillées de larmes d’épuisement, il se ruait sur son maître. L’entraînement se poursuivait ainsi toute la nuit et, au petit matin, un sourire satisfait fendait enfin les lèvres de Nolan qui consentait enfin à accorder quelques heures de repos à son élève ambitieux. Les années s’étaient succédées, semblables les unes aux autres, sans distinctions aucune. La carrure de l’orphelin se dessinait délicatement au fil des mois et ses muscles subissaient une transformation radicale. Sa silhouette restait svelte et bien souvent, il oubliait de se nourrir, ayant pris l’habitude de s’entraîner d’arrache-pied jusqu’à l’effondrement. Quelques fois, maître Nolan devait freiner son élève, d’un air ravi. Il savait qu’Adonis serait un grand guerrier et qu’il atteindrait son objectif avec aisance. Bien entendu, jamais il ne lui fit de telles remarques ou de tels compliments. Malgré la cruauté que cet homme semblait dégageait, il n’en restait pas moins le plus sage de toute cette colonie tanagar. Le soir, lorsque les futurs guerriers n’étaient pas trop fatigués, ils se regroupaient autour du feu et attendait que leur maître leur conte des légendes d’antan. Bien souvent, ils restaient pendus à ses lèvres, absorbés par les paroles du vieillard. Lorsque les histoires se terminaient, ils n’immergeaient pas totalement de ces épopées et ils en rêvaient une fois que leur tête touchait le sol. Black Hole, comme tous ceux de son groupe, n’avait pas fait exception. Il s’imaginait à la place de ces vaillants combattants et un petit sourire naissait sur ses lèvres.
Les saisons se succédèrent et l’ange fut enfin prêt pour son rite de passage. Il devait passer toutes une série d’épreuves avant d’être nommé garde privé du Haut Sénateur Morgan. Inutile de préciser que Black Hole se démena comme un beau diable et que ses adversaires tombèrent comme des mouches autour de lui. Il était pris d’une folle frénésie de mettre à terre tous ceux qui l’empêchaient d’atteindre son but... Son objectif à portée de main et qui l’observait avec intérêt. A la fin des épreuves, haletant et ruisselant de sueur, il se calma enfin et regarda autour de lui. Bien entendu, il n’avait abattu personne mais un bel amas de guerriers les plus aguerris gisaient au sol. Un peu surpris, mais content de lui, Adonis posa son regard bleu clair sur Nolan. Ce dernier souriait et il hocha imperceptiblement la tête dans sa direction. Morgan se leva et s’approcha de son nouveau garde du corps. Son vieil ami lui avait tellement parlé de lui qu’il ne voulait plus personne d’autre pour le protéger. Ce rite de passage n’avait été qu’un prétexte pour vérifier si Nolan n’exagérait pas les prouesses de son élève. Mais Black Hole l’avait surpris, même si son visage n’affichait rien de semblable. Il le désigna garde du corps et lui remit la cape officielle avec le symbole tanagar inscrit à l’endroit de son cœur. Depuis ce jour, la vie de l’orphelin bascula et il se retrouva projeter dans un monde tout à fait différent. Il servit plusieurs Hauts Sénateurs avant d’être nommé protecteur de Tyler. En réalité, le jeune scientifique n’avait nullement besoin de ses services, sachant parfaitement se défendre seul. Mais Adonis ressentait une irrésistible envie d’être à ses côtés. Il ne comprenait pas encore la nature de ces sentiments naissants mais il savait pertinemment qu’un lien les unissait. Il restait encore à définir la nature de celui-ci.
Ce jour-là, exceptionnellement, il quitta Tanagar sans prévenir Tyler. Il se trouvait dans ses quartiers lorsqu’il généra le trou de ver qui le conduisit directement sur la planète où Crystal l’avait trouvé, vingt ans plus tôt. Il marchait dans cette forêt tranquille depuis quelques heures, muni de son épée. Il savait exactement ce qu’il cherchait et il ne tarda pas à trouver l’arbre qu’il guettait. Un immense peuplier se dressa devant lui et un sourire apparut sur le visage de l’ange. Il dégagea sa cape blanche et s’agenouilla sur un lit de feuilles mortes. Avec ses mains, il se mit à creuser un trou assez profond. Au bout de quinze minutes, il en extirpa un arc et un carquois de flèches. Satisfait, il recouvrit la fosse de terre et il se releva. Il épousseta son pantalon noir avant de reprendre sa marche. Une demi-heure plus tard, il déboucha dans une clairière dégagée et baignée par les rayons du soleil. Le jeune homme ferma les yeux et laissa la faible chaleur de l’automne le réchauffer. Il se débarrassa alors de sa cape et il l’abandonna à l’orée de la forêt. A présent, il était torse nu et semblait ignorer la morsure du vent automnal. Il s’avança plus profondément à l’intérieur de la clairière, son arc et son carquois en main alors que son épée était suspendue à sa ceinture de cuir brun. Il laissa tomber son attirail avant de dégainer son arme. La lame d’argent scintilla sous les rayons de l’astre solaire et, au même instant, une silhouette apparut en face de lui. Black Hole s’inclina respectueusement devant son maître d’armes.
« Maître Nolan… »
« Que me vaut l’honneur de ta visite, Adonis ? »
« J’ai besoin d’un entraînement. »
« Tu es parfaitement qualifié à présent. Tu n’as plus besoin de moi, Adonis. »
« L’élève n’a pas encore dépassé le maître. »
« Certes, mais je t’ai poussé au-delà de tes limites. Jamais un élève n’a résisté à mes cours avec le même caractère et la même force d’esprit que toi. Chercherais-tu à libérer ton esprit ? »
« Oui… Je veux que vous vous montriez intransigeant, maître. Je ne suis plus un adolescent à présent. »
« Très bien. »
Sans crier gare, Nolan fonça sur son ancien élève. Il ne portait aucune arme et Black Hole parla les coups de son maître avec aisance. Il cherchait réellement à le blesser, sachant que le vieillard était de toute façon intouchable. Mais comme il l’avait dit quelques secondes plus tôt, il avait besoin de se libérer l’esprit de toutes les questions qui le tracassaient. Adonis sentait qu’il prenait le dessus petit à petit, jusqu’à ce que Nolan fasse apparaître son épée. Un bruit assourdissant fit fuir une nuée d’oiseaux et des étincelles giclèrent dans tous les sens lors de l’impact des deux armes. Le combat durait depuis des heures et la nuit répandait son voile obscur sur les combattants lorsque l’ange sentit une brûlure au niveau de son torse. Il grogna de colère et recula. Il rejeta sa tête en arrière pour libérer son visage d’une mèche de cheveux blonds qui obstruait sa vision. Ses prunelles bleu profond scrutaient le moindre geste de Nolan. Il prit une ample respiration alors qu’un filet de sang coulait le long de son ventre. Le vieil homme semblait satisfait d’avoir enfin atteint sa cible. Mais le combat n’était pas terminé et tous deux le savaient. Ils se ruèrent une fois de plus l’un sur l’autre et le combat se poursuivit toute la nuit. Au petit matin, le corps des deux hommes luisait de sueur. Mais ils étaient infatigables et aucune blessure sérieuse ne les força à s’arrêter. Le garde du corps ne pensait plus à Tyler ni à quoi que ce soit d’autre. Il était focalisé sur son envie de combattre. Au milieu de la deuxième nuit, Nolan calma son ancien élève.
« Cela suffit, Adonis ! »
« Non ! »
Mais il lâcha son épée et tomba lourdement sur ses genoux. Quelques entailles recouvraient son corps trempé de sueur et du sang séché collait à sa peau pâle. Le sang battait furieusement à ses tempes et il se prit la tête entre les mains. Il roula sur le côté et poussa un hurlement de douleur. Il avait l’impression que son cerveau allait exploser. Nolan rejoignit Adonis, ne semblant pas très inquiet de son sort.
« Tu es un redoutable adversaire. Mais il te reste encore beaucoup à apprendre si tu souhaites suivre mes traces. »
« Je… N’en ai… Pas l’intention… J’ai une autre mission… A accomplir… »
« Oui, je le sais… Et tu n’es pas au bout de tes surprises, mon cher Adonis. Il te reste tellement de chemin à parcourir ! Et en plus, tu es immortel… »
Un grognement de rage échappa à Black Hole. Il roula sur le dos et porta une main à son nez qui saignait. Il fixa l’immensité du ciel un court instant puis son regard perçant rencontra celui de son instructeur.
« Suis-je donc si pitoyable que cela ? Est-ce que je sers donc encore à quelque chose ? »
Un coup de pied partit dans les côtes de l’ange. Surpris, il se releva d’un bond et se jeta sur Nolan. Les deux hommes roulèrent dans l’herbe mais le vieil homme eut le dessus, une fois de plus.
« Cesse de geindre comme une femme ! Au lieu de pleurnicher, commence à réfléchir avec ta cervelle et non avec tes pieds ! Les réponses aux questions que tu te poses sont toutes à ta portée. Il te suffit simplement d’ouvrir ton cœur et ton âme sur ce qui t’entoures. Si je t’entends encore une seule fois te plaindre, tu goûteras à un entraînement comme tu n’en as encore jamais vécu ! Tu me supplieras comme lorsque tu étais enfant. Me suis-je bien fait comprendre ? »
« Oui, maître Nolan. »
Il cessa de lutter et Nolan le relâcha. Le vieil homme reprit son épée et la fit disparaître. Il s’inclina devant l’ange toujours couché sur le sol froid.
« A bientôt, cher Adonis. Ce fut un plaisir de te revoir. J’aurai une nouvelle anecdote à raconter à mes élèves. »
*Crétin !*
Et pourtant, il respectait Nolan encore plus que lui-même. L’ange se remit difficilement sur pieds et massa ses côtes endolories en grimaçant. La leçon qu’il avait reçue l’avait drôlement remis en place et chamboulé. Il ramassait son épée et voulait récupérer sa cape blanche lorsqu’il entendit un craquement. Sur le qui-vive, il scruta les alentours avant de détecter la source du bruit. Une ombre fit furtivement son apparition et Black Hole se jeta sur l’étranger. Il le plaqua au sol et appuya la lame de son épée sous sa gorge. Il prit alors le temps d’observer l’inconnu et il reconnut… Tyler.
« Tyler ! Mais qu’est-ce que tu fais là ? J’aurais pu te blesser ! Et puis… Qu’est-ce que tu fiches sur cette planète ? »
Le pauvre ange était tout chamboulé. Il se releva et attrapa le poignet de son protégé. Il l’entraîna avec lui et, une fois sur pieds, il passa une main dans ses cheveux coiffés sauvagement. Il ignorait depuis combien de temps Tyler se trouvait sur la colonie tanagar aussi s’empressa-t-il de le lui demander tout en restant figé dans l’obscurité, encore à torse nu et couvert de sang séché.